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Le gouvernement de Michel Barnier, une alliance de perdants à rebours du front républicain

Sorti péniblement des limbes, samedi 21 septembre, après onze semaines de paralysie politique, le gouvernement de Michel Barnier n’a pas eu droit aux honneurs, et pour cause. Née de l’alliance entre le camp d’Emmanuel Macron et le parti Les Républicains (LR), la nouvelle équipe chargée de sauver ce qui peut l’être de la désastreuse dissolution du 9 juin est à la fois pléthorique et déséquilibrée.
Elle penche clairement très à droite sans garantir une quelconque stabilité à l’exécutif, qui reste minoritaire à l’Assemblée nationale et se voit d’emblée accusé d’avoir bafoué le résultat des urnes.
La nomination de Bruno Retailleau, représentant de la droite catholique et conservatrice au ministère de l’intérieur, celle de Laurence Garnier, opposée au mariage pour tous et à la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse, au secrétariat d’Etat à la consommation sont les symboles de ce glissement inquiétant. La reconduction de sept sortants d’un gouvernement défait, parmi lesquels Sébastien Lecornu et Rachida Dati, défie les lois de l’alternance et la nécessité d’une cohabitation.
Les interminables tractations qui ont présidé à la mise en place du nouvel attelage révèlent l’âpre bataille d’influence entre Emmanuel Macron, affaibli par la dissolution, et Michel Barnier, en quête de légitimité parlementaire. Les deux têtes de l’exécutif tentent d’apprivoiser un modus vivendi entre la « cohabitation » revendiquée par LR et la « coexistence exigeante » avancée par le chef de l’Etat.
Les partis signent leur retour. Ils ont littéralement encerclé le nouveau premier ministre pour négocier leur influence. La droite a fait le forcing sur le régalien, les macronistes et leurs alliés ont maintenu leur influence sur l’économie, le social, l’éducation nationale. Le domaine réservé du président de la République est maintenu, mais Michel Barnier obtient une tutelle directe sur les ministres chargés du budget, de l’outre-mer et de l’Europe.
Faute d’avoir scellé un pacte de coalition en bonne et due forme, la nouvelle équipe n’est tenue que par quelques vagues engagements de façade. Elle reste à la merci des chefs de parti qui ont tous choisi de rester en dehors du gouvernement, soulignant la fragilité de l’édifice.
Le message politique est à rebours des espoirs de changement soulevés lors de la campagne des législatives. Défait par la dissolution, le macronisme joue sa survie dans une alliance avec un autre perdant, LR, au mépris du front républicain qui avait propulsé le Nouveau Front populaire en tête du second tour des élections. Seul l’ancien socialiste Didier Migaud, promu garde des sceaux, a accepté l’aventure, ce qui rend caduc l’objectif d’une large coalition avancé par le président de la République.
L’ampleur du camouflet opposé au réflexe civique qui a conduit une large majorité d’électeurs à repousser, en juillet, le risque d’une prise de pouvoir de l’extrême droite se mesure surtout à ce constat accablant : le nouveau gouvernement est à la merci du Rassemblement national, qui pourra à sa guise faire monter les enchères sur l’immigration.
Le profond malaise démocratique né de cette situation surplombe les nombreux dossiers brûlants que Michel Barnier a devant lui. C’est paradoxalement leur gravité qui peut lui laisser espérer un peu de temps avant d’être atteint par une censure. De quelque parti qu’il soit, aucun des prétendants à la présidentielle de 2027 n’a intérêt à un brusque décrochage du pays. C’est aussi à cette réalité que se jauge la profondeur de la crise politique française.
Le Monde

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